« Est-ce vraiment ce que vous désirez, mademoiselle Spencer ? » L'intéressée releva la tête et planta les yeux dans ceux de l'agent qui lui faisait face, de l'autre côté du bureau d'embauchement. Que voulait-il dire par là, alors qu'elle venait de postuler et d'accomplir toutes les études nécessaires pour être enquêtrice ? « Ou n'est-ce que le besoin de retrouver votre père et son géôlier qui vous poussent à prendre cette décision ? N'est-ce pas, qu'au fond, une quête typiquement personnelle ? » Ah, voilà où il voulait en venir, en fait. Ça recommençait. Zoey grimaça discrètement. Il avait vu juste, malgré tout. Quand elle fouillait au plus profond de son coeur, elle voyait bien que c'était en grande partie la disparition de son père depuis deux ans qui la motivait à s'engager. Cependant, elle sentait que c'était sa destinée, que c'était à son tour de jouer aux cartes, et si elle voulait légalement suivre la piste du paternel, il n'y avait pas meilleur moyen. Elle en avait assez de ne pas pouvoir se mêler officiellement de cette affaire, et elle espérait secrètement qu'une fois acceptée dans la police, elle trouverait ce dossier sur sa table. Et puis, cela calmerait peut-être son petit frère perturbé, et l'éloignerait de sa maudite gang de voyous qui faisait des mauvais coups dans le coin. Mais elle n'acceptait pas que l'on remette son dossier, ses perspectives personnelles en avant. « Qu'en savez-vous vraiment, monsieur ? » répliqua la jeune femme de dix-neuf ans à l'époque, d'un ton sec. « Aux dernières nouvelles, personne n'est encore doté du pouvoir de la télépathie. » Elle aurait juré avoir vu un sourire moquer se dessiner sur les lèvres de l'officier. « Mademoiselle, nous connaissons le dossier de votre père et le vôtre par coeur... » Il fut aussitôt interrompu par le bruit d'une porte qu'on ouvre, et son supérieur apparu, tenant dans ses mains une épaisse liasse de papier. Il s'arrêta, observant Zoey. Elle vit ses prunelles briller. L'homme d'une trentaine d'année sauta alors à l'autre inspecteur, le jugeant de haut en bas, et plissa des yeux. À ce moment-là, la jeune femme sentit qu'un lien s'était créé entre eux, et qu'elle serait presqu'automatiquement accepté auprès de la police anglaise. « Hé bien, inspecteur Marx, vous avez le don de rejeter les bonnes personnes. Un peu de nouveau sang nous ferait le plus grand bien, nous nous faisons des vieux os, par ici. Qu'est-ce qui vous trouble autant ? » L'autre n'en croyait pas ses oreilles. Ses yeux s'agrandirent. « Mais, monsieur, il s'agit de Zoey Spencer, la fille du marine Robert Spencer... Vous savez, la jeune qui a souvent tenté de s'immiscier dans nos enquêtes... On ne peut pas l'accepter.  » Son supérieur se gratta le menton, pensif. « Il y a beaucoup de temps que nous n'avons pas entendu parler de cette demoiselle, Marx. Elle ne nous cause plus d'ennui. Elle a sûrement changé, mais elle conserve le désir de retrouver son père, et cela se comprend tout à fait. Cela ne l'empêche pas d'assurer justice à Liverpool entre-temps. » Zoey savait qu'il n'y avait plus rien à dire. Et, avec un sourire béat éclairant son visage, elle vit l'inspecteur Sullivan lui faire un clin d'oeil, devant l'air surpris de son officier. « Cela va de soit, mademoiselle, nous avons toutefois besoin de faire quelques tests. Rien de bien personnel, cela dit, ce sont les tests que passe tout inspecteur souhaitant rejoindre la justice. »


« Déjà un an, Spencer, et je vous trouve extrêmement douée. » Zoey fit un sourire gêné à son mentor, l'enquêteur Sullivan, qui le lui rendit aussitôt. « Vous êtes encore plus perspicace que l'était votre mère, cette bonne vieille Talia. » La jeune femme releva la tête en entendant le prénom de sa mère. Elle avait été détective privée, et avait, à de nombreuses reprises, aidé la police à retrouver de fameux assassins anglais dans la région. C'était d'ailleurs cela qui avait provoqué sa mort, dix ans plus tôt : une balle perdue en plein dans la poitrine. Du moins, c'est ce que l'on avait toujours dit à la demoiselle. Elle aimait bien quand on parlait de sa mère, tout simplement parce qu'à l'époque où elle était encore vivante, elle était très proche d'elle. C'était d'ailleurs Talia qui l'avait initié au monde des enquêtes, monde qui la passionna dès qu'elle commença à lui en parler. C'était cette deuxième partie influente qui l'avait poussé à devenir à son tour une enquêtrice, mais au service de la police. « Votre mère était extrêmement douée. Soyez-en fière, et avancez dans son parcours. » Termina Sullivan. « J'ai quelque chose pour vous féliciter de votre succès. J'ai pensé que cette affaire pourrait vous intéresser. » Il s'approcha de Zoey et déposa un document sur son bureau, juste devant elle. En baissant la tête, elle vit clairement le nom de son père inscrit dessus. Elle sentit l'excitation la parcourir à ce moment-là. Il avait réussi à récupérer le dossier, après tout ce temps. Trois ans, et les autres inspecteurs n'avaient jamais réussi à trouver son père. Mais elle, elle savait qu'elle pouvait faire une différence. Elle savait qu'elle pouvait le retrouver. Parce qu'elle était sa fille, que son sang coulait dans ses veines, et qu'elle avait été extrêmement proche de lui avant qu'il ne disparaisse dans la brume. « Nous allons le retrouver. Les policiers n'auront rien à y redire. » Fit son mentor, solennel, tandis que l'agent Spencer hocha de la tête et déglutit lentement. Ils allaient le retrouver. « Oui. »


« Vous craignez pour votre frère, n'est-ce pas ? Eh bien, nous devons l'arrêter, que vous soyez enquêtrice ou pas. » Zoey savait que le départ de l'aîné de la famille avait provoqué un grand creux chez son petit frère, Billy, qui avait pris exemple sur son père et en particulier sur son grand frère, Caïn. Or, ce dernier, avait pris la clé des champs, ou plus précisément, les champs des États-Unis, il y a de cela maintenant six ans, juste après la disparition du père. Les enquêtes se multipliaient sur le bureau de la jeune enquêtrice, et il ne lui restait plus autant de temps pour veiller sur son petit frère, qui s'était mis à faire de graves conneries avec ses amis. Elle baissa la tête suite à la remarque de l'inspecteur Marx. « Écoutez, il est juste perturbé... » L'autre gronda. « Juste perturbé ? Juste ? Il a fracassé près de trois vitrines depuis un an, et si nous ne l'arrêtions pas, il allait voler ! Il s'est retrouvé plusieurs mois par ans en prison, et vous voulez qu'on le laisse tranquille alors qu'il sème le chaos dans tout Liverpool ? C'est une blague ? Désolé, mais nous devons l'arrêter. Il a perdu son unique chance, cet après-midi, en tentant d'acheter de la drogue illicite à des dealers. » Sans lui laisser le temps de répliquer, l'enquêteur lui tourna le dos et s'en alla. « Eh merde. Papa ne serait pas fier, mais peut-être que les policiers ont raison. Il a besoin d'une correction, correction que je ne suis, on dirait, pas capable de lui donner... Espérons que ça le change, cette fois. » Elle poussa un lourd soupir avant de se tourner elle aussi vers la porte, et s'apprêta à l'ouvrir lorsqu'elle fut interrompue dans son geste par l'arrivée de son ancien mentor, en qui elle avait éternellement confiance, et meilleur ami. « Nous l'avons, Zoey ! Nous avons une trace ! » La voyant immobile, les épaules affaissées, il s'arrêta. « Euh... Ça va, Zoey ? » Elle lui fit face. « Mon frère s'en va en prison. Ils l'ont... Arrêté. Je pensais pouvoir le sauver, le préserver de ce malheur, mais voilà quoi. J'imagine qu'ils n'ont plus le choix. » Sullivan eut un regard triste. « Zoey, il y a certains trucs que l'on ne peut éviter, dans la vie, et ça, tu dois savoir l'accepter, en tant qu'agente. Tu n'as pas le choix. Maintenant, nous devons retourner à nos affaires, si tu veux que le dossier avance et ramener ton père à la maison. »


« Ainsi donc, il y a une semaine, les Américains ont aussi perdu l'un de leur marine ? Comment ça ? » Interloquée, la jeune femme se tourna vers l'agent Sullivan. « Exactement dans les mêmes circonstances, de la même manière, mais à l'autre bout de l'océan, expliqua ce dernier. Les Américains pensent qu'il s'agit de ton père, le geôlier, et que sa disparition n'était qu'une mise en scène. L'important, c'est de les retrouver tous les deux, et pour ça, nous n'avons pas eu le choix... » Il descendit de l'avion, et Zoey, le suivant de près, coupa net sa phrase. « ... D'aller aux États-Unis, à Washington D.C. » Son ancien mentor hocha de la tête. « En effet. Sais-tu quelle agence est censée se mêler de cette affaire ? Avec qui allons-nous travailler, Zoey, dis-le moi ? » Elle sembla réfléchir. « Le NC... Quelque chose, je m'en souviens plus, désolée. » Sullivan leva les yeux au ciel. « NCIS, pardi, agent Spencer, ce n'est pas compliqué ! Naval Criminal Investigation Service. C'est avec eux que nous allons devoir collaborer, avec eux que nous allons devoir retrouver ces deux petits cachottiers. » Zoey ouvrit la bouche pour répliquer, mais ils étaient déjà rendus aux portes de l'aéroport, et lorsqu'elles s'ouvrirent, ses yeux s'agrandirent devant le nouveau monde devant elle. « Oh mon dieu, c'est... Grandiose. C'est... Étonnant. Comme dans mes rêves. » Son ami ria. « Bienvenue à Washington D.C, Zoey ! Ici, oublie tous tes soucis. Ton frère est entre de bonnes mains, tu n'as plus besoin de le baby-sitter, nous approchons de ton père, et nous pourrons profiter de quelque temps libres dans le coin pour découvrir l'Amérique. Mais nous ne devons pas oublier notre mission, ni celle des autorités du coin, hein. Parée ? » Elle hocha la tête, le plus gros sourire dessiner sur ses lèvres, tel un enfant, malgré tous les problèmes qui allaient sûrement les attendre là-bas. « Parée ! Je suis prête à tout. »